Qui se souvient des Bulgares de New York ? Leur présence en Amérique fut restreinte, mesurée, typique du génie de ce peuple confidentiel. Ainsi il ne se trouva personne pour pleurer l’amour malheureux qui unit l’actrice Elaine Chokolov au pâle Bogdan Oblanov, personne non plus pour étudier l’étonnante genèse du talent littéraire de Dean Grosslick. On ne sait toujours rien des conspirations de la camériste Feya Grubev, pas plus qu’on ne fit l’effort de comprendre et de louer le sens du devoir inégalé de Granville Kling. Nul ne tenta d’élucider le mal mystérieux qui égara la raison de Cornell Morris, et le monde entier s’appliqua à ignorer le destin fantomatique et pourtant fondamental de Jon Khalov, l’homme au beau visage.
Tant de fortunes diverses, eussent-elles été moins bulgares, auraient fourni la matière de savoureuses comédies et de drames pitoyables, universellement acclamés… Ou peut-être fallait-il justement être bulgare et rien que bulgare pour vivre ces aventures-là, et sans doute devra-t-on l’être encore davantage pour les lire.