Climats de France (2017)

Marie Richeux

Je ne sais pas encore que cette cité a été dessinée par le même homme qui pensa l’immeuble dans lequel j’ai grandi. Je ne sais pas encore qu’une pierre de taille, fameuse, me relie à cet endroit. Je ne sais pas encore que, pour aller d’un endroit à un autre, il ne suffira pas de traverser la mer, il faudra traverser la guerre, entendre la lutte et voir se déployer dans des textes, dans des voix, une démente escalade de violence. Je ne sais pas encore que la drogue qui se vend dans la cour aux deux cents colonnes sur ces hauteurs d’Alger, et qui rend méfiants les quelques jeunes attroupés tout à l’heure autour de nous, je l’ai croisée il y a vingt ans dans la Cité heureuse.

En 2009, Marie, la narratrice, est à Alger. Sur les hauteurs de Bab el-Oued, elle est subjuguée par la cité qu’y construisit entre 1954 et 1957 l’architecte

Fernand Pouillon, appelée « Climat de France » . Saisie par la nécessité de comprendre l’émotion qui l’étreint, celle qui a grandi à Meudon-la-Forêt, dans la « Cité heureuse » du même Pouillon, entreprend alors une plongée dans le passé : le sien, celui des édifices et de leurs habitants.

Plusieurs récits se succèdent et s’entrelacent, comme autant de fragments d’une même histoire dont elle traque le motif : le souvenir d’une nuit de 1997 à Meudon- la-Forêt, quand Marie, treize ans, ne parvient pas à s’endormir à cause des chants de deuil résonnant dans la cage d’escalier ; l’arrivée de Fernand Pouillon à Alger en mai 1953, invité à construire mille logements pour la fin de l’année par un jeune maire récemment élu ; les confidences de Malek, que ses parents, sentant le vent tourner, ont envoyé en France en 1956 et qui en 2016 habite encore la «Cité heureuse».

Ici, comme en écho à celle de la narratrice face aux pierres de Pouillon, l’émotion naît de l’extraordinaire acuité avec laquelle l’écrivain évoque le quotidien de ces hommes et de ces femmes que l’histoire, parfois à leur insu, a traversés et qui, de part et d’autre de la Méditerranée, obstinément et silencieusement bâtissent leur vie.

A propos de l'auteur :

Marie Richeux :

Marie Richeux est née à Paris en 1984. Depuis six ans, elle produit et anime une émission quotidienne sur France Culture, « Pas la peine de crier », devenue en septembre 2014 « Les Nouvelles vagues ». Elle a publié deux livres chez Sabine Wespieser éditeur : Polaroïds, en 2013, un recueil de courtes fictions choisies parmi celles qu’elle a écrites quotidiennement pour les lire à l’antenne, et Achille, en 2015, une relecture contemporaine du mythe antique.

 

La maison d'édition :

Sabine Wespieser :

Sabine Wespieser a une formation en lettres classiques. Elle a travaillé 13 ans chez Actes Sud, avant de fonder sa propre maison d’édition en 2001 avec son mari, Jacques Leenhardt. La maison publie son premier livre en 2002.  

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  • mhelen
    2 février 2018

    un beau voyage, entre l'Algérie et la France, avec en fil conducteur l'architecte Fernand Pouillon et son idéal social. La guerre d'Algérie et ses conséquences sur 3 générations de chaque côté de la Méditerranée une belle écriture