Alger, 1956. Fernand Iveton a trente ans quand il pose une bombe dans son usine. Ouvrier communiste anticolonialiste rallié au fln, il est contre l’action violente aveugle. Il a choisi un petit local à l’écart des ateliers pour ce qui doit être un acte symbolique : il s’agit de marquer les esprits, pas les corps. Il est dénoncé et interpellé avant que la bombe n’explose ; celle-ci est désamorcée. Il n’y a donc aucun mort, aucun blessé. Il n’est coupable que d’une intention, et pourtant le voilà condamné à la peine capitale. Il sera exécuté au matin du 11 février 1957, restant dans l’Histoire comme le seul Européen guillotiné de la guerre d’Algérie. Si le roman de Joseph Andras relate l’arrestation, l’interrogatoire, la détention, le procès d’Iveton, il évoque également l’enfance de Fernand dans son pays, l’Algérie, et s’attarde plus longuement sur sa rencontre en France avec Hélène, qui deviendra son épouse. Ainsi la violence extrême des ultimes semaines de son existence est-elle mise en perspective avec le bonheur tranquille du passé, comme pour rappeler qu’avant d’être celui que selon son orientation le public verra comme un héros ou un terroriste, Fernand Iveton est simplement un homme, un jeune idéaliste qui aura aimé – sa terre, sa femme, la vie, l’amitié – et espéré la liberté pour tous les frères humains. Dès lors les thèmes soulevés par ce roman sont universels, et résonnent singulièrement avec notre époque : l’engagement, la patrie, la solidarité, la guerre, la nationalité, la justice, enfin, qui devrait être impartiale et immanente mais qui trop souvent tranche en fonction d’un temps, d’un lieu, d’un objectif. Lyrique et habité, Joseph Andras signe un fulgurant exercice d’admiration en même temps qu’un déchirant plaidoyer contre la peine de mort.
Tout est dit dans la présentation de l'excellente maison d'édition . Outre le récit historique important c'est aussi une très belle histoire d'amour , des vies brisées . L'écriture est exceptionnelle Joseph Andras est un écrivain .
Roman très sensible, on entre au coeur d'un homme et de son combat. Une rencontre, un couple lié jusqu'au bout, et une (in)justice implacable, témoignage de notre histoire La plus sombre. Très beau premier roman.
Sommes-nous pour ou contre la peine de mort ? Ce roman nous renvoie en 1955/1957. Fernand Iveton est envoyé à la peine de mort pour avoir voulu alerter l’opinion publique sur les malheurs des algériens. La bombe qu’il a posée n’a pas explosé. Il n’a tué personne, il ne voulait tuer personne. Son arrestation, ses tortures sont une aberration. Sera-t-il gracié par René Coty ? Tout est politique. Un très bon roman mélangeant la politique, les sentiments, la vie en Algérie.
Il est des livres qui nécessitent une certaine maturité. Leur lecture terminée, ils doivent reposer, se laisser lentement apprivoiser pour ensuite être partagés. "De nos frères blessés" de Joseph ANDRAS fait partie de ceux-là. Il faut dire que je l'ai lu cet été avec, comme actualité de fond, le terrible acte terroriste de Nice du 14 juillet 2016 ! Et puis, il y a eu "Ma part de Gaulois" de Magyd CHERFI, et là, les vannes se sont ouvertes, les mots se sont délivrés et j'ai pu enfin rédiger ma chronique. Nous sommes en Algérie en 1956. Fernand IVETON est un militant communiste. Il lutte pour l'indépendance de sa terre. Il est l'auteur d'un acte de sabotage dans l'entreprise où il travaille. Il a posé deux bombes dans le dépôt de fond de cour, une seule explose. Il a été repéré. Il est emprisonné, torturé, et jugé dans le cadre d'un procès singulier. Joseph ANDRAS réalise avec ce 1er roman une biographie d'un homme qui s'est battu pour préserver sa terre. Nous sommes bien dans le registre du roman et donc de la fiction. Roman historique, il l'est, puisqu'il relate des événements de l'Histoire de l'Algérie, cette colonie française devenue indépendante en 1962. Il évoque l'idéologie du FLN : "[...] le FLN revendique sans l'ombre d'une hésitation l'action menée par le camarade Fernand IVETON, courageux patriote s'il en est - l'Algérie de demain est son pays, celle où le colonialisme ne sera plus qu'un mauvais souvenir, une parenthèse funeste dans le récit de l'exploitation de l'homme par l'homme, celle où les Arabes n'auront plus à courber l'échine, celle où l'Etat sera souverain et indépendant de la France." P. 36 Il parle aussi du passé, de ce qui a pu inciter les hommes à se battre pour sauver leur terre, sauver leur peau, comme ces massacres perpétrés par les Colons : "Oui, donc, le jour où la France était en fête après la victoire contre les Allemands, je sais pas combien de musulmans, des milliers, pas moins, ont été massacrés au pays, à Sétif, à Guelma, ça doit rien vous dire ces noms-là, c'est à trois cents et cinq cents bornes d'Alger." P. 60 Il aborde les conséquences de l'humiliation sur l'être humain et l'avenir : "La mort, c'est une chose, mais l'humiliation ça rentre en dedans, sous la peau, ça pose ses petites graines de colère et vous bousille des générations entières [...]." P. 61 et nous offre une formidable opportunité à méditer... Et puis, il y a cette même référence partagée avec Magyd CHERFI au passé de François MITTERRAND, alors Ministre de la Justice. C'est là que j'ai eu un déclic ! L'auteur aborde l'homme dans son intégralité. Avant d'être "terroriste", le mot est lâché puisque Fernand IVETON est jugé comme tel, cet homme a eu une vie. Enfant d'un père de l'Assistance Publique et d'une mère d'origine italienne, enceinte à 17 ans, décédée quand il n'avait que 2 ans. Il a été élevé par une belle-mère qui avait déjà 2 autres enfants d'un autre homme. Sa jeunesse a été difficile. Et puis, il y a eu cette maladie, la tuberculose. Il va être 6 mois en arrêt de travail et va devoir partir pour Paris pour se soigner. C'est là qu'il va rencontrer Hélène, cette jeune femme née en Pologne d'une famille aisée. Il va en tomber amoureux. "Fernand la regarde comme d'autres contemplent une statue ou une toile : il lui manque la précision du langage pour le formaliser mais il regarde les volumes et les ombres sur la peau, les reflets, les pores plus ou moins sûrs d'eau, les mains (tout semble se concentrer en ce seul point, ces mains qui se donnent ou giflent, que l'on prend ou qui s'en vont : les mains d'une femme aimée, ou désirée, portent la même charge déchirante, la même fièvre sacrée que la bouche qui, un jour, sans toujours s'annoncer, s'approche ou se refuse à jamais), ce sourire étranger et ces yeux qu'un mauvais poète comparerait sitôt à la mer sans craindre de l'offenser (Hélène n'a pas droit aux lieux communs, aux chromos de rimailleurs)." P. 45 Quand il repart en Algérie, elle le suit. Elle va découvrir une autre culture, elle va aimer certaines choses, d'autres non. "[...] elle aima entendre cette langue inconnue, arabe lancé des fenêtres, des marchés et des cafés, roulant d'amples tissus en bouches sombres ; elle aima les interférences et les carambolages d'une ville entre deux mondes, immeubles haussmanniens et mosquées mauresques, étrange tête-à-tête de couleurs et de cultures. Elle n'aima pas, en revanche l'arrogance quotidienne qu'elle décelait, ou plutôt constatait tant rien n'était et n'est caché, des Européens à l'égard des musulmans (elle ne tarda pas entrevoir l'inventivité verbale que les humains pour décrire ceux qu'ils n'admettent pas en leur sein : crouilles, ratons, melons, bicots, bougnoules)." P. 111 Si je devais résumer ce roman, je dirais qu'il contribue au devoir de mémoire pour la grande Histoire et qu'il offre une certaine "réparation" à l'homme, Fernand IVETON. Mais n'oublions pas de parler de l'écriture... Au gré des différentes citations, peut-être avez-vous commencé à apprécier la qualité de la prose de Joseph ANDRAS... ces phrases longues, avec des parenthèses comme autant de prolongations du propos. Je dois dire que je l'ai beaucoup aimée et même si, le fond l'emporte avec cette terrible résonance avec les faits que vit aujourd'hui la France, la "métropole", la forme n'en demeure pas moins la garantie d'un très grand moment de littérature ! Une plume à suivre assurément...